Du rythme au style de l’écriture
Si « lis beaucoup » est le commandement suprême (et c’est sûr qu’il l’est), alors que veut dire, en pratique écrire beaucoup ?
La réponse varie bien entendu en fonction des auteurs.
Il faut de la lecture, de l’imitation et chemin faisant, se défaire du reflet des inspirations des auteurs qu’on aime bien. Kafka ou Borges sont de bons maîtres en ce sens qu’ils démontrent assez bien, qu’on n’a pas à connaître le nom des choses, ni les mécanismes du monde, pour coucher ses sentiments sur du papier. Dans tous les cas, « Il faut faire ce qu’on a dans les trippes sans se soucier du résultat » (Jim Harsson).
Pour d’aucuns, l’écriture est le résultat d’une assiduité. Quelle que soit l’humeur, que vous ayez trop bu la veille, que vous ayez peu dormi, (les deux allant souvent de paire), vous devez forcément vous asseoir à votre bureau. Malheureusement tout le monde n’est pas bâti de la sorte.
L’une des histoires rigolotes sur le sujet, concerne James Joyce. Un ami venu lui rendre visite, aurait trouvé le grand homme vautré sur sa table de travail, au comble du désespoir.
« Qu’est-ce qui ne va pas James ? demanda l’ami. C’est le travail ? »
Joyce hocha la tête sans même lever les yeux sur son ami.
« Combien de mots as-tu écris aujourd’hui ? » voulut savoir l’ami.
James toujours désespéré, toujours le nez dans ses feuilles :
– Sept…
– Sept? Mais voyons, James, c’est bien, au moins pour toi !
– Oui, répondit James, relevant enfin la tête, je suppose…Mais je ne sais pas dans quel ordre les mettre. À l’autre extrémité, on trouve des écrivains comme Anthony Trollope. On lui doit des romans de tailles monstrueuses. De jour il était employé de poste, mais il écrivait tous les matins pendant deux heures et demie avant de partir travailler. Cet emploi du temps ne souffrait d’aucune dérogation. S’il était au milieu d’une phrase à l’expiration de ses deux heures et demie, il la laissait telle quelle jusqu’au lendemain matin.
Stephen King, lui n’aurait écrit que 35 romans. Mais il écrit toujours les matins, avant d’aller donner ses cours à l’université. Le reste de la journée est invariablement consacré à la famille, à la sieste, aux amis et aux loisirs.(dont la lecture). « Si je n’écris pas tous les jours, les personnages commencent à se rassir dans mon esprit : ils se mettent à avoir l’air de personnages et non plus de vraies personnes. » confie t-il.
En gros l’excitation tombe quand on ne garde pas un rythme d’écriture régulier. La règle d’or : quand on écrit pas, on écrit pas du tout. Mais, quand on a sur le feu, un projet d’écriture, il faut le maintenir sous le feu jusqu’au bout!
Le style doit être invisible, c’est ce qu’il y a en dessous et non ce que la surface de la phrase nomme que le lecteur doit voir. Cela dit, à d’autres moments, on peut chercher à capter l’attention sur cette même surface et ses aspects linguistiques. Un peu comme une musique de film : elle peut déterminer l’humeur de la scène, mais au moment où on s’aperçoit de sa présence, l’attention est détournée par ce qui se passe à l’écran. Pour que le lecteur soit entraîné, il faut que ces mécanismes soient invisibles pour n’agir que de façon viscérale.
Pennac, à ses débuts, a commencé l’acte d’écrire par de l’imitation stylistique.( Dickens, Tchekhov, Montaigne, La Rochefoucauld, Tolstoï et bien d’autres…) Il écrit par à-coup. Quand une journée ne marche pas, au bout d’une heure passée devant sa feuille, il lâche et vaque à autre chose. Mais quand une journée marche, il écrit toute la journée ( Il est à la retraite). Il ne sort même pas de on lit, et n’est là pour personne. Il n’écrit jamais jusqu’à l’exploitation totale de la mine. Il garde toujours une proportion d’excitation, pour repartir le lendemain au milieu d’un paragraphe. Il faut garder l’élan de la veille. Comme le conseil d’écriture qu’on donne à un jeune écrivain : « Va te pieuter, d’abord tu dormiras moins, parce que tu seras dans l’excitation de la veille, et à ton réveil, tu auras accumulé toute l’énergie de la frustration de ne pas avoir écrit pendant que tu dormais ! Là, tu peux y aller!» Il écrit à haute voix, et quand, il achoppe sur un mot, là, il y a un problème. Le plus souvent, c’est que la phrase cloche.
Dans l’ensemble, les lecteurs ne sont pas trop regardants des mérites littéraires d’un bouquin : Ils désirent avant tout, une bonne histoire à dévorer dans l’avion, le métro ou les bus de longues distances. Ils recherchent une histoire qui les fascinera au point qu’ils auront envie de tourner chaque page jusqu’à la dernière.
Mais qu’est-ce alors qu’une bonne histoire?
Hyacinthe Kougniazondé